Conférence d’ouverture 2025
Titre : « Nos langues nous trompent-elles ? Du topos de l’imperfection des langues aux concepts de « travail de langue » et de « synchronisation » »
Vincent Nyckees
Professeur émérite de linguistique, Université Paris Cité & UMR 7597 « Histoire des théories linguistiques » (France)
Professeur émérite de linguistique, Université Paris Cité & UMR 7597 « Histoire des théories linguistiques » (France)
Résumé : Les langues sont communément dénoncées comme imparfaites, voire comme trompeuses, au regard de la pensée humaine et de nos exigences logiques élémentaires. Cette communication vise à montrer que les raisonnements sous-tendant ce procès sont biaisés, faute de respecter les conditions minimales d’une comparaison rigoureuse, qu’ils présupposent une conception sommaire des relations entre langage et pensée et qu’en réalité une langue n’est jamais ni mieux ni moins bien faite que la pensée des individus qui la parlent. Ma démonstration s’appuiera sur un examen précis des différents types de distorsion couramment invoqués entre langue(s) et connaissance. Cet examen fera apparaître que de tels arguments à charge n’ont de sens et de valeur que pour des approches non dialectiques des relations entre langage et pensée, et, tout particulièrement, pour les conceptions « instrumentalistes » traditionnelles qui réduisent les langues à de purs instruments d’expression de contenus mentaux formés (pour l’essentiel, voire en totalité) indépendamment de celles-ci. Une approche médiationniste nous permettra de reprendre sur d’autres bases, et avec plus de profit, cette question des relations entre langue(s) et connaissance(s). Il conviendra en particulier de distinguer nettement les langues empiriques le français d’aujourd’hui par exemple, au sens ordinaire de cette expression de ce que l’on peut appeler les langues individuelles, c’est-à-dire la synthèse de la langue de son ou, plutôt, de ses groupes que chaque sujet doit nécessairement élaborer à son propre usage tout au long de sa vie aux fins de ses interactions avec autrui et de sa compréhension du monde. Lieu de nos opérations cognitives les plus structurées, la langue individuelle apparaît ainsi comme le plan même sur lequel, dès son plus jeune âge, chacun organise son monde cognitif et se trouve de ce fait obligé de mettre en cohérence (de « synchroniser »), dans la mesure de ses moyens et de ses besoins, sa propre compréhension (toujours lacunaire) de la langue de son groupe avec sa propre expérience du monde (elle-même profondément sémiotisée).
Biographie : Vincent Nyckees (vincent.nyckees@u-paris.fr) est professeur émérite de linguistique à l’Université Paris Cité et membre du laboratoire HTL (UMR 7597). Depuis La sémantique (Belin, 1998), ses travaux s’inscrivent pour la plupart dans le cadre d’une approche médiationniste de la signification qu’il a développée afin de résoudre certains problèmes majeurs de théorie sémantique (sur cette approche, cf. notamment « Sémantique médiationniste », dans A. Biglari & D. Ducard (dirs.), 2022 et « Comprendre l’autre comme soi-même ? Pour un modèle médiationniste de l’intercompréhension linguistique », Signifiances (Signifying), 5(1), 2021). Vincent Nyckees s’est intéressé en particulier aux relations entre langage et cognition, au changement sémantique, à la catégorisation sémantique, au sens figuré et à la polysémie, à la subjectivité langagière, à l’implicite, à l’intercompréhension linguistique, à la sémantique cognitive et au saussurisme. Il partage actuellement ses recherches entre des travaux d’histoire des théories de la signification linguistique et la préparation d’un ouvrage rassemblant et illustrant les propositions médiationnistes.