Conference sur site et en ligne TOTh 2023
1-2 juin 2023, Université Savoie Mont-Blanc, Chambéry, France
Actes
Conférence d’ouverture : Naissance et renaissance de la terminologie botanique au XVIe siècle
Philippe Selosse, Faculté des Lettres, Sciences du langage et Arts (LESLA), Université Lumière – Lyon-II – UMR 5317 Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités
Résumé : La constitution d’une discipline « botanique » à la Renaissance est généralement actée sur le plan de nouvelles pratiques positives : herborisations de terrain ; recensement et description d’espèces jusqu’alors inconnues dans l’Ancien et le Nouveau Monde ; constitution d’herbiers secs ; publication d’ouvrages sur les plantes qu’accompagne la technique récente des gravures sur bois puis cuivre ; émancipation de l’étude des plantes de leur finalité médicinale, avec pour corollaire la création institutionnelle de chaires disciplinaires spécifiques et le développement des jardins « botaniques » à usage privé ou universitaire. Mais c’est Linné, deux siècles plus tard, qu’on crédite d’avoir établi les bases de la nomenclature du vivant (1736, Fundamenta Botanica ; 1751, Philosophia Botanica) et d’une terminologie rigoureuse des parties des plantes (1762, Termini Botanici). L’histoire des sciences réduit ainsi les siècles prémodernes (XVIe-XVIIe s.) à la pratique d’empiristes, avant l’avènement maîtrisé d’une science systématique fondée en raison, qui inaugure l’époque moderne (à partir du XVIIIe s.). Des travaux récents soulignent l’absence d’une terminologie stable et pensée à la Renaissance, tout au plus formée de mots hérités de l’Antiquité (Pline, Dioscoride, Théophraste, Aristote) : en témoignent les langues vernaculaires, dont l’usage des mots en anatomie végétale est très fluctuant. Mais le gros de la littérature botanique s’écrit en néo-latin et là, on assiste à un lent travail de constitution de glossaires (reconnaissance et isolement de gloses chez les auteurs de l’Antiquité gréco-latine), puis à la constitution de vocabulaires ou de dictionnaires (ceux des frères Robert et Charles Estienne) et d’appareils définitoires en marge des grands ouvrages sur les plantes (Ruel, Fuchs, Bock…) ; le tout est appuyé par le marché économique d’une technique en plein essor (l’imprimerie) qui donne de plus en plus à voir et maîtriser un ensemble délimité de mots, définis et fixes, et repris dans l’ensemble des travaux sur les plantes : une vraie terminologie s’élabore progressivement, de manière de plus en plus consciente et circonscrite. C’est adossées à cet ensemble néo-latin que les traductions en vernaculaire tâtonnent pour établir des « manières de parler » constitutives d’une langue de description des plantes en français, allemand, anglais, italien… Reconnaître dans tous ses aspects l’existence de cette terminologie, qui ne se dit pas telle mais se constitue bien comme telle, c’est pouvoir réévaluer le caractère scientifique et novateur de l’étude des plantes à la Renaissance.
Biographie : Philippe Selosse (Philippe.Selosse@univ-lyon2.fr) est maître de conférences en linguistique française à l’Université Lyon-II, habilité à diriger des recherches. Ses recherches portent sur la lexicologie du français préclassique (1550-1650) – il dirige, à ce titre, la revue de parution annuelle Le Français préclassique (Paris, Champhion) – et sur le néo-latin botanique, de la Renaissance aux Lumières. Ses près de soixante-dix publications portent principalement sur les fondements de la nomenclature botanique pré-linnéenne (XVIe-XVIIIe siècles), dont il a mis au jour les principes structurants (synthèse dans Werner Forner et Britta Thörle (éds), 2016, Manuel des langues de spécialité, Berlin / Boston, De Gruyter, Manuals of Romance Linguistics, 12, 415-430).